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Harcèlement moral au travail : de nouvelles modalités de preuve ?

Il y a du nouveau en matière de constitution de preuve en harcèlement moral au travail.

Rappels

Lors d’une audience devant le Conseil de Prud’hommes, chaque partie doit prouver les faits nécessaires au succès de ses prétentions. Et ce conformément à la loi.
(article 9 du Code de procédure civile)

Par ailleurs, selon la règle, devant cette juridiction, le mode de preuve est libre.
(Chambre Sociale de la Cour de Cassation, 27 mars 2011, nº 98-44.666)

Cela signifie que chaque partie peut produire tout type de preuve. Ainsi, on retrouve notamment : les documents (plus ou moins techniques), les témoignages, les procès-verbaux d’huissier, ou encore les rapports d’experts (etc).

La preuve libre : oui, mais dans certaines limites

Cependant, certaines modalités de preuve ne sont pas licites et deviennent ainsi irrecevables. C’est le cas notamment des moyens de preuve obtenus par un stratagème.
(Chambre Sociale de la Cour de Cassation, 4 juillet 2012, nº 11-30.266)

Ainsi, on juge par exemple déloyale l’installation par un employeur d’un dispositif de contrôle des pratiques d’un(e) salarié(e). Dès lors, ce mode de preuve devient illicite et irrecevable. (Chambre Sociale de la Cour de Cassation, 19 nov. 2014 n° 13-18749)

loyauté de la preuve

Jusqu’alors, la Chambre sociale de la Cour de Cassation portait une attention particulière à la protection de la vie privée du salariée. Dès lors, elle encourageait l’employeur à ne pas employer de modes de récolte de preuve pouvant y porter atteinte de manière exagérée.

Enregistrements clandestins écartés

Jusque là, la Chambre sociale de la Cour de Cassation soutenait :

« Si l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de ses salariés pendant le temps du travail, tout enregistrement, quels qu’en soient les motifs, d’images ou de paroles à leur insu, constitue un mode de preuve illicite »
(Chambre Sociale de la Cour de Cassation, du 20 novembre 1991, 88-43.120)

fichiers des salariés identifiés comme « privés »

Par ailleurs, on ne pouvait utiliser les fichiers privés des salariés à leur dépens dans une procédure judiciaire. Ceci venant en application du respect de la protection de la vie privée. (Chambre Sociale de la Cour de Cassation, 18 octobre 2011, 10-25.706).

Données issues d’un dispositif d’enregistrement

Enfin, on jugeait illicites les données issues d’un dispositif d’enregistrement automatisé non déclaré à la CNIL.
(Chambre Sociale de la Cour de Cassation, 8 octobre 2014, 13-14.991)

Quel changement ?

Pourtant tout récemment, venant directement contredire ce principe de respect de la vie privée des salariés, la Chambre sociale de la Cour de Cassation a jugé comme suit.

« L’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».
(Chambre Sociale de la Cour de Cassation, 25 novembre 2020, N° 17-19.523)

Harcèlement moral au travail : nouvelles modalités de preuve

Toutefois, si cette décision peut paraître inquiétante au regard de la protection de la vie privée des salarié(e)s, elle peut également devenir une opportunité. En effet, dans le cadre de la constitution de preuves à l’encontre d’un employeur, elle permettrait de reconnaître de nouvelles sources. Ceci devenant une véritable source d’espoir dans la constitution de preuves en matière de harcèlement moral voire sexuel par un(e) salarié(e).

Prenons le cas d’un(e) salarié(e) cherchant à prouver un harcèlement moral ou sexuel au travail. Selon les mêmes principes, jusqu’alors, il (elle) ne pouvait utiliser un enregistrement obtenu à l’insu de la personne enregistrée pour prouver les faits. L’unique exception était alors le message vocal, dans la mesure où la personne avait conscience du fait que son message était enregistré.
(Chambre Sociale de la Cour de Cassation, 6 février 2013, n° 11-23738).

Dès lors, la jurisprudence du 25 novembre dernier autorisant des modes de preuves jusque là illicites, permettrait d’utiliser d’autres moyens de preuve illicites devenant ainsi recevables. Et ce bien que les juridictions soient encore réticentes, dans la mesure où les modes de preuve de harcèlement moral et sexuel sont malaisés.

Conclusion

Ces dernières années années, des associations comme le Défenseur des Droits et l’Association Européenne Contre les Violences faites aux Femmes (AVTF) se font entendre pour que les enregistrements clandestins permettant de prouver l’existence d’un harcèlement (moral ou sexuel) deviennent recevables.

Ici, tout récemment, la Cour d’appel de Toulouse a validé la recevabilité d’un enregistrement obtenu à l’insu de l’employeur. En effet elle a jugé comme suit :

« Elle est indispensable à l’exercice du droit à la preuve et l’atteinte à la vie privée de M.X est proportionnée au but poursuivi ».

De ce fait, la Cour d’appel a considéré cette preuve recevable car nécessaire aux droits de la défense. Et ce en malgré le fait qu’elle pouvait constituer une atteinte à la vie privée de l’employeur.

Ainsi, si le verdict du 25 novembre 2020 concernait les modalités de preuve utilisées contre un salarié, l’application du même principe à l’encontre d’un employeur, renforce la décision de la Cour d’appel de Toulouse. Conséquence de quoi, nous pourrions ici faciliter l’obtention de preuve d’un salarié victime de harcèlement moral ou sexuel au travail.

Cette décision de la Chambre Sociale de la Cour de Cassation donnerait la possibilité aux victimes de harcèlement d’utiliser des enregistrements clandestins pour pouvoir faire reconnaître ce délit (malheureusement encore peu reconnu) devant le Conseil de Prud’hommes.

Myriam Dumontant, avocate en droit du travail à Paris