La Cour de Cassation vient d’effectuer un revirement de jurisprudence dans 3 décisions rendues sur l’acquisition de jours de congés payés pendant un arrêt de travail y compris un arrêt maladie. En voici le contenu :
Désormais, on peut acquérir des congés payés pendant un arrêt de travail pour maladie non professionnelle ou non consécutif à un accident du travail [1].
De plus, on ne limite plus le calcul des droits en termes de congés payés à la première année de l’arrêt de travail [2].
Enfin, le délai de prescription en demande de paiement d’une indemnité compensatrice de congés payés commence à courir uniquement si l’employeur a permis au salarié de prendre ses jours de congés [3].
1. Rappels sur l'acquisition de jours de congés payés pendant un arrêt maladie
1. a. Rappel du droit français (Articles L. 3141-3 et suivants du code du travail)
Excepté si un accord collectif prévoit des dispositions plus favorables, le salarié bénéficie de 2.5 jours de congés payés par mois de travail effectif.
L’article L. 3141-5 présente une liste exhaustive de ce que l’on considère comme étant du travail effectif. En voici quelques exemples : les journées de travail, un congé maternité ou d’adoption, et tout arrêt de travail pour cause de maladie professionnelle ou d’accident du travail.
Dès lors, un salarié en arrêt de maladie non professionnelle n’acquérait aucun jour de congés payés pendant cette période. En effet, ces périodes n’étaient pas considérées comme du travail effectif.
Pourtant cette règle était contradictoire au droit de l’Union Européenne.
1. b. Rappel du droit européen
Selon l’article 31 paragraphe 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE :
« 1. Tout travailleur a droit à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité. »
« 2. Tout travailleur a droit à une limitation de la durée maximale du travail et à des périodes de repos journalier et hebdomadaire, ainsi qu’à une période annuelle de congés payés ».
Selon l’article 7 de la Directive 2003/88 :
« 1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales.
2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail.»
Ainsi, la Cour de Justice de l’Union Européenne a rendu plusieurs décisions en application de ces dispositions. Elle explique notamment que les périodes d’arrêt de travail sont imprévisibles et indépendantes de la volonté d’un salarié. Elles doivent donc être prises en compte comme période de travail effectif ouvrant le droit à des congés payés [4].
Sur ce sujet, la jurisprudence européenne reste constante et ce depuis plusieurs années. Aussi, une décision de 2012 avait-elle déjà rappelé le droit de congés payés dont bénéficie les salariés. Et ce sans faire de différence selon l’origine des absences [5].
1. c. Le droit français ici en contradiction avec le droit européen
Or ces normes juridiques européennes n’ont pas été transposées au droit du travail français.
Les juges ne peuvent donc pas s’y référer si un salarié l’invoque pour obtenir des congés payés lors d’un arrêt maladie non-professionnelle [6].
Cependant, le salarié peut engager la responsabilité de l’État de ne pas avoir mis le droit national en conformité avec le droit européen. Et obtenir ainsi réparation du préjudice subi.
Les organisations syndicales (FO, Union Syndicale Solidaire, CGT) ont demandé à ce que l’État soit condamné à leur payer une indemnisation en réparation du préjudice moral subi par les salariés qu’elles défendent.
Ainsi, la Cour Administrative d’Appel de Versailles a condamné l’Etat français au paiement de 10 000€ à chaque syndicat [7].
1. d. La conformité de la France au droit européen
En application de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne et de la Directive 2003/88, la Cour de Cassation a énoncé le 13 septembre 2023 :
- que le terme « tout travailleur » ne permettait pas d’exclure un salarié du bénéfice du congé payé sur la base de la nature de son arrêt de travail,
- que les dispositions citées préalablement ne distinguent pas les travailleurs absents de leur travail pour cause de congé maladie de ceux qui ont effectivement travaillé pendant cette période.
En conclusion :
« Il convient en conséquence d’écarter partiellement l’application des dispositions de l’article L. 3141-3 du code du travail en ce qu’elles subordonnent à l’exécution d’un travail effectif l’acquisition de droits à congé payé par un salarié dont le contrat de travail est suspendu par l’effet d’un arrêt de travail pour cause de maladie non professionnelle et de juger que le salarié peut prétendre à ses droits à congés payés au titre de cette période en application des dispositions des articles L. 3141-3 et L. 3141-9 du code du travail ».
Ainsi, la Cour de Cassation se conforme désormais au droit de l’Union Européenne.
Les travailleurs acquièrent des jours de congés payés pendant les périodes d’arrêt de travail quelle que soit leur nature.
2. Le salarié acquiert des jours de congés payés en cas d’accident du travail y compris après un an
Le Code du travail énonçait que le salarié en arrêt pour cause d’accident du travail bénéficiait de congés payés pour un an maximum (articles L. 3151-1 et L. 3141-5).
Après cette durée, le salarié ne bénéficiait plus de jours de congés payés.
Mais une deuxième décision prise par la Cour de Cassation a changé cette règle et supprimé la limite d’un an.
3. Délai de prescription pour une demande de paiement d’indemnité compensatrice de congés payés
3. a. Ce que dit le Code du travail
Selon la loi, une demande en justice est soumise à un délai de prescription. Ainsi, au-delà d’un certain délai le justiciable ne peut plus présenter sa demande.
Dans ce contexte, le délai de prescription pour une demande de rappel de salaire est de trois ans (article L.3245-1).
Or les congés payés sont juridiquement considérées comme du salaire. En conséquence, on doit effectuer une demande de paiement d’indemnité compensatrice de congés payés dans les trois ans.
La jurisprudence a décidé du point de départ à prendre pour ce délai de 3 ans. Ainsi, le Code du travail explique que ce délai commence à courir :
- A compter du jour où le salarié qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer,
- Ou dès la date de rupture du contrat de travail.
Ainsi, la position de la Cour de Cassation si le contrat de travail n’est pas rompu est que le point de départ devrait être fixé à l’expiration de la période légale ou conventionnelle pendant laquelle les congés payés auraient pu être pris [8].
3. b. Ce que dit le droit européen
Pourtant cette position était également en contradiction avec le droit européen.
La CJUE estime que la perte du droit de congé annuel payé à la fin d’une période donnée ne peut avoir lieu que si le salarié a bien eu la possibilité d’exercer son droit à temps. On ne peut donc admettre que l’employeur puisse invoquer sa propre faute d’avoir omis de mettre le travailleur en mesure d’exercer effectivement son droit au congé annuel payé, pour en tirer profit en cas de recours de ce travailleur, en prétextant de la prescription de ce droit [9].
Aussi le salarié ne peut-il se voir opposé l’expiration du délai de son droit à solliciter le paiement de l’indemnité de congé payé si l’employeur ne peut justifier de l’avoir mis en mesure de prendre ses jours de congés.
Dans un 3e arrêt, la Cour de Cassation a jugé que le point de départ du délai de prescription de l’indemnité de congés payés devait être fixé à l’expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris. Encore faut-il que l’employeur puisse justifier qu’il a accompli ses diligences vis-à-vis du salarié pour exercer son droit à des congés.
Ainsi, si l’employeur ne justifie pas avoir assuré au salarié la possibilité de prendre ses jours de congés payés, le délai de 3 ans n’a pas commencé à courir.
3. c. Conclusion et impacts
En cas de litige devant le Conseil de Prud’hommes, l’employeur devra prouver qu’il a donné au salarié la possibilité de poser ses jours de congés.
Cette décision aura sûrement de grandes répercussions puisque les salariés n’ayant pas reçu la possibilité de poser leurs jours de congés payés pourront en demander le paiement.
Dès lors, la question se pose de savoir jusque quand les salariés pourront remonter dans le temps pour réclamer le paiement des jours de congés payés dont ils n’ont jamais bénéficié au cours de précédents arrêts de travail !
Selon une analyse du Conseiller doyen de la Chambre sociale de la Cour de Cassation, le point de départ pourrait remonter au 1er décembre 2009 : date à laquelle le Traité de Lisbonne est entré en vigueur. Et ainsi date à laquelle la charte des droits fondamentaux de l’union européenne est devenue contraignante [10].
Cela étant dit, les services du gouvernement travailleraient déjà pour faire adopter une mesure permettant de limiter l’impact financier de ce revirement. Il serait question de limiter à 15 mois le report des congés accumulés pendant un arrêt maladie.
Pour conclure, la jurisprudence de la Cour de Cassation donne ici une nouvelle opportunité aux salariés qui pourront ainsi faire valoir leurs droits.
[1] Cassation, Soc., 13 septembre 2023, Pourvoi n°22-17.340
[2] Cassation, Soc., 13 septembre 2023, Pourvoi n°22-17.341
[3] Cassation, Soc., 13 septembre 2023, Pourvoi n°22-17.342
[4] CJUE, 06.11.18, Stadt Wuppertal c/Bauer
[5] CJUE, 24 janv. 2012, aff. C-282/10
[6] Cassation soc., 13 mars 2013, n° 11-22.285
[7] CAA Versailles, 17 juillet 2023, N° 22VE00442
[8] Soc., 14 novembre 2013, n° 12-17.409, Bull. 2013, V, n° 271
[9] CJUE 22 septembre 2022, LB c/ TO, C- 120/21, points 45 et 48
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